Montreuillon est situé sur la ligne où se séparent les eaux de l'Yonne et celles de de la Loire. Situé 10 km à l'ouest, c'est La Collancelle emplacement du bief de partage3 du canal du nivernais. La rigole d'Yonne qui l'approvisionne traverse la vallée de l'Yonne ... sur l'aqueduc de Montreuillon. Le village, est depuis toujours concerné par l'aventure du canal du Nivernais et il a longtemps vécu au rythme des vissicitudes qui ont accompagnées sa construction et sa gestion.
L'histoire du canal du Nivernais est intimement liée à celle du flottage et du transport du bois de chauffage sur Paris.
Bien avant le xvie siècle, la question se posait avec gravité car toutes les forêts proches de la ville avaient déja été exploitées.
En 1520 le roi François Ier subodorait un moyen d'exploiter d'autres gisements forestiers et procéder par flottage comme on le faisait déjà avec les bois de marine. Il interdit donc la destruction des forêts riveraines jusqu'à 6 lieues en bordure des ruisseaux flottables (M.Quantin, 1885). Mais la mise en oeuvre n'était pas simple et ce ne fut que le 23 juillet 1546 que Gilles de Froissy Maître des Forges du Nivernais fut en mesure de solliciter son approbation pour faire flotter le bois jusqu'à Paris.
Les techniques et l'organisation du transport du bois à bûches perdues13 et de construction des trains de bois13 furent mises au point mais le Roi mourut le 31 mars 1547, avant la réalisation du projet : le 20 avril 1547, Henri II venait de monter sur le trône depuis 3 semaines, le premier train de bois construit à Châtel-Censoir pour le compte de Charles Lecomte de la corporation des charpentiers de Paris, arriva dans la capitale, par l'Yonne et la Seine. Le 23 juillet 1549, Jean Rouvet reprenant l'initiative de Gilles Deffraissez fit de même par la Cure. Le 16 février 1551 Guillaume de Sallonnier marchand de bois à Moulins-Engilbert fut autorisé par lettres patentes d'Henri II à faire également flotter son bois sur la Cure.
L'aventure du flottage "du bois de chauffe et de four" du Morvan commençait, elle allait durer plus de 4 siècles !
Le Beuvron est un affluent de l'Yonne qui prend sa source dans la forêt de Tronçay (commune de Saint-Révérien), à moins d'1 km de la ligne de partage des eaux entre le bassin de la Loire et celui de l'Yonne. Il prend tout de suite une orientation Sud-Nord et se jette dans l'Yonne 40 km plus loin, à Clamecy. Son débit est de 3.1 à 4.6 m³/s de décembre à mars mais il subit un étiage12 très prononcé de 0.46 m³/s de juillet à septembre.
Source principale : Michel Geoffroy
Au début du xviie siècle, Jean de Gert, "Maître des écluses" de Louis XIII, imagina relier la Loire à l'Yonne en passant par l'Aron et le Beuvron, mais son projet resta dans les cartons.
Pourtant en 1648, sous le règne de Louis XIV, le Comte François de Damas Seigneur de Crux entreprit de franchir la fameuse ligne de partage des eaux19 en creusant le canal de la Vaucreuse (encart) qui relie l'étang d'Aron (bassin de la Loire) pour rejoindre Le Beuvron (bassin de l'Yonne) après 4,8 km en suivant les courbes de niveaux.
En 1780 l'un de ses descendants la prolongea par une rigole partant de l'étang de Ligny jusqu'au début de la Vaucreuse de 1648
Après 4 siècles, force est d'admirer le travail titanesque que représentait cette entreprise : tranchées dans le grès, ouvrages d'art en pierres taillées, ... La forêt a maintenant repris ses droits, mais la Vaucreuse, premier véritable canal à relier le bassin de la Loire et celui de la Seine est encore visible : il reste à espérer qu'elle ne disparaîtra pas sous les bulldozers pour satisfaire les besoins à court-terme de notre "civilisation". L'expérience du canal du Nivernais actuel (1841) qui devait être comblé car jugé inutile et qui aujourd'hui est le deuxième canal le plus fréquenté de France par le tourisme fluvial, conduit pour le moins à réfléchir !.
=> En savoir plus sur la Vaucreuse …
De même, à la même époque, sans avoir à traverser la ligne de partage des eaux, le flottage put s'organiser sur la rivière d'Arthel. Il fallut creuser un canal de 4 km pour contourner le moulin de Treigny et atteindre le Beuvron (encart)
Pour des raisons économiques et techniques, le flottage sur le Beuvron ne put jamais rivaliser avec celui de l'Yonne ou de la Cure. E.Guillien (1999) montra que le bénéfice obtenu était réel mais peu important.
De plus le bassin versant du Beuvron atteint seulement les 264 km² et il subit une une période d'étiage sévère de 3 mois par an. Par ailleurs, les moulins et les forges étaient nombreux, imposant de passer 14 vannes sur le Beuvron et 18 sur le Sauzay.
Enfin une difficulté supplémentaire se présentait au confluent du Sauzay et du Beuvron au lieu-dit La Fourche : les flots de bois étaient "tirés" empilés pêle-mêle, pour être regroupés rejetés et descendus en "flots communautaires" jusqu'à la râcle de La Forêt pour éviter les mélanges avec le bois du Haut-Morvan.
A la révolution une rigole fut creusée depuis La Fourche jusqu'à la râcle de La Forêt, la "rigole des marchands". Le dernier "flot des petites rivières" arriva à Clamecy en 1891 et la rigole des marchands fut comblée en 1900 !
Par contre le flottage sur l'Yonne et la Cure s'améliora de saison en saison pendant plus de 2 siècles. Cependant Paris s'agrandissait et l'exploitation des forêts Morvandelles devenait de plus en plus difficile.
jusqu'à cet hiver très rude de 1782-83, sous le règne de Louis XVI, quand la capitale connut une pénurie de bois. L'idée d'étendre l'exploitation aux forêts du Bazois fut avancée. Le Maître des Eaux et forêts Ménassier se vit chargé du projet
Sur place, à Châtillon-en-bazois situé à 17 km de Montreuillon du coté Loire sur les rives de l'Aron, Léonard-Anne-Gabriel Marquis de Pracomtal était tenté lui aussi de "flotter". Le Marquis connaissait les expériences de Crux et Arthel et il hésitait entre rejoindre l'étang d'Aron et la Vaucreuse ou Baye où Ménassier prévoyait le perçage d'une rigole de flottage, souterraine dans le porphyre de La Collancelle et à l'air libre à partir du ruisseau de La Collancelle jusqu'à "La Chaise" sur l'Yonne
Du coté Loire, des projets d'aménagement du ruisseau de Baye à partir de Mingot, au confluent avec l'Aron jusqu'à Bazolle où l'on pensait possible de passer la ligne de partage des eaux plus facilement qu'à La Collancelle étaient à l'étude. Les ingénieurs durent se rendre compte que l'extrusion de la ryolithe s'était produite depuis Montreuillon jusqu'à la Collancelle donc en passant au niveau de Bazolle et que le meilleur site était encore celui de La Collancelle proche des étangs de Baye et de Vaux
D'ailleurs le 10 avril 1784, le Roi signa le début des travaux à cet emplacement et en confia la Direction à l'Ingénieur Aimable Hageau. Un second arrêt ordonna cette même année le début des travaux de Baye à Châtillon-en-bazois (sous l'influence du Marquis de Pracomtal ?)
L'année 1785 fut terrible pour le morvan, pays pauvre à la population courageuse où chacun était à l'affut d'un travail qui pourrait améliorer le sort de sa famille. Le tunnel de la Collancelle devait être taillé dans la ryolithe, mélange de roche magmatique et de granite, un matériau très dur travaillé à la dynamite et au pic. Une difficulté apparut rapidement : des fissures s'étaient produites dans le bloc de porphyre probablement lors de la formation de la faille géologique principale toute proche et l'altération des roches avait créé des couches argileuses incluses dans le rocher ; une situation propice aux glissements de terrain et aux éboulements ! Ce petit canal de flottage nécessitait un travail très pénible et dangereux et 1200 ouvriers par jours venant du Morvan mais aussi de toute la France et même ... des prisons (!), étaient à l'embauche chaque matin. Ils appartenaient à plusieurs corps de métier, voituriers, forgerons, manoeuvre, etc. Les effondrements de galeries étaient fréquents et les accidents se comptaient par dizaines. Quand l'un d'entre eux fit 70 victimes, les ouvriers cessèrent le travail, se révoltèrent et le chantier fut arrêté.
En mai 1786, une commission d'évaluation scientifique fut dépêchée. Elle était composée des commissaires de l'Académie des sciences, l'abbé Charles Bossut, l'abbé Alexis-Marie Rochon et du fameux Nicolas de Caritat marquis de Condorcet. Ils conclurent à l'intérêt d'étendre le projet de construction d'une simple rigole flottable à celui d'un canal navigable poursuivit jusqu'à Cravant où l'Yonne était suffisamment profonde pour accueillir des bateaux à tirant d'eau important.
Il faut rappeler qu'il ne s'agissait toujours que de l'alimentation en bois de chauffage de la ville de Paris. La liaison Loire-Seine n'etait toujours pas prévue.
En mars 1791 les travaux s'arrêtèrent faute de financement suffisant. Un mois plus tard, le roi débloqua de nouveaux crédits mais quelques jours plus tard la famille royale était assignée à résidence aux Tuileries et le pouvoir du Roi lié par l'assemblée. En juin, la fuite de Louis XVI entraîna son arrestation.
Le 10 août 1792, c'etait la prise des Tuileries, le début de la Terreur et des massacres de septembre, l'abolition de la monarchie constitutionnelle, et l'avènement de la 1re république. La France était en guerre avec toute l'Europe et la plupart des ouvriers du canal étaient sous les drapeaux.
De 1792 à 1807 les travaux furent à nouveau arrêtés, Napoléon Premier-Consul en 1797, devenu Empereur en 1804 n'était pas intéressé par le canal du nivernais, lui préférant celui de Saint-Quentin qui permettait de transporter la houille à Paris et ainsi progressivement remplacer le bois.
Le Ministère des Finance envisagea de revendre les terrains et demanda à l'Ingénieur A. Hageau un rapport d'évaluation sur l'utilité du canal. Les conclusions furent favorables et le chantier repris en 1809 mais tout fut à nouveau interrompu en 1812 (c'etait la campagne de Russie, la Grande armée avait besoin de soldats !)
Louis Becquey, nouveau Directeur des Ponts et Chaussées rédigea en 1820, le fameux rapport synthétique et référent : "Rapport au Roi sur la navigation interieure de la France". Il préconisait la création de 10 000 km de canaux en France avant 1840, mais rien ne bougea.
Pourtant pour résorber le chômage, Louis XVIII fit reprendre le travail en 1822 ; tout était resté à l'abandon et il fallut réhabiliter, talus, écluses, fuites, éboulements à La Collancelle, etc. Les fonds furent apportés par la Compagnie des 4 Canaux7 nouvellement crée auquel s'était joint un consortium d'une dizaine de banques, ce qui dynamisa la reprise du projet et aboutit à sa conclusion.
En 1824 le projet fut étendu au vu du rapport de Louis Becquey le canal devait être prolongé jusquà Decize (Saint-Léger-des-vignes) coté Loire et jusqu'à Auxerre coté Yonne
Et puis les choses se précipitèrent : en 1834, un premier bateau arriva à Baye en provenance de Coulange-sur-Yonne ; en 1835 le tronçon Baye–Châtillon fut ouvert ; en 1838 c'était la portion La Chaise – Port-Brûlé coté Yonne et le 5 avril de la même année coté Loire le préfet B. Badouix ouvrit le canal de Cercy–la–tour à Châtillon !
l'inauguration du Canal fut célébrée dans la liesse en 1841. Sa construction s'était étalée sur 60 ans avec environ 25 ans d'interruptions et des événements politiques d'une importance sans précédent. Son coût initial était estimé à 8 millions de Francs–or, il en coûta 27 millions.
Tout n'était pas réglé pour autant : plusieurs années consécutives de sécheresse estivale démontrèrent que les étangs de Baye et Vaux ne pouvaient pas assurer seuls un fonctionnement correct du canal. Cela rendit nécessaire la construction d'une rigole d'alimentation du bief de partage, ce fut la rigole d'Yonne un canal de 28 km pour 15 m de dénivellation, qui captait l'eau de l'Yonne au pont de "Pannessière". Cela entraîna la construction de trois aqueducs sur la commune de Montreuillon. Cette fois, les travaux furent menés à terme rapidement et l'inauguration de la rigole put se faire en 1843. Le canal était pleinement fonctionnel !
Source : Michel Geoffroy
Pourtant une étude fut lancée en 1861 pour creuser une deuxième rigole, coté Loire. Le 10 décembre 1868 Napoléon III déclara d'utilité publique avec un financement de 500 000 F-or sa construction ce fut la rigole d'Aron qui captait l'eau de l'Aron à 2 km de sa source, serpentait en suivant les courbes de niveau sur 25 km pour arriver dans l'étang de Vaux. Elle fut inaugurée en 1878.
La pente était sensiblement la même que celle de la rigole d'Yonne (20 m sur 25-28 km) mais malheureusement son débit était trop faible, l'Aron à sa source (280 m) disposait d'un volume d'eau disponible très inférieur à celui de l'Yonne (dont la source se situe à 738 m d'altitude et la prise d'eau 15 km plus loin permettant à de nombreux affluents d'apporter leur contribution), les sols étaient trop filtrants alors que la rigole d'Yonne coulait sur du granite imperméable, construction en déblais11 sur les 8/10 de sa longueur : en janvier , alors qu'elle devait être pleine, la rigole n'avait de l'eau que pendant ⅓ du temps !
La rigole d'Aron n'a donc fonctionné que pendant 25 ans et elle a été abandonnée en 1910. Elle fut nettoyée très sérieusement jusqu'en 1925 et cessa lors de la mise en retraite du dernier cantonnier en 1936.
En 1948, une restauration sommaire fut réalisée sur les 6 derniers kilomètres et en 1949 les 18 premiers kilomètres furent déclarés "inutiles". En 1950 l'exploitation fut complètement arrêtée : il faut dire que cela correspondait à l'inauguration du barrage de Pannecière qui devait assurer définitivement un débit constant et suffisant à la rigole d'Yonne (qui de plus avait été bétonnée sur toute sa longueur depuis les années 1930).
Pourtant à l'aube du xxe siècle le canal semblait inexorablement condamné à disparaitre !
Le premier coup fut porté par la mise en place de nouvelles normes par Charles Louis de Freycinet en 1879. Elles amenaient la longueur des écluses de 30 à 39 m et une largeur de 5.20m. Certaines purent être mise aux normes, mais sur la partie haute en particulier au niveau des "échelles de Sardy" ce n'était pas possible. Les nouvelles péniches mesurant 38.5 m sur 5.05 m étaient d'office écartées du canal !
Le second fut la réduction de la demande en bois de chauffage de Paris qui préférait la houille plus facile à transporter : le flottage à bûches perdues ralentit jusqu'à ne lancer qu'un seul flot et cessa complètement en 1923. Seules quelques "flûtes"15 aux dimensions anciennes transportaient encore "la moulée"5 du Morvan et du Bazois.
Enfin, le chemin de fer prenait de l'importance et déja quand la ligne Clamecy-Cercy-la-tour fut inaugurée sur le même trajet en 1878, la plupart des observateurs conclurent à la disparition imminente du canal.
Pourtant, comme un dernier baroud d'honneur, une usine de distillation du bois transporté par bateaux s'ouvrit en 1894. Elle devint la SPCC (société des produits chimiques de Clamecy) en 1922 et travailla jusque dans les années 1970
Mais il fallait se rendre à l'évidence, en 1966 il ne passait déjà plus qu'un bateau par semaine et en 1974 il y avait une telle carence d'entretien depuis un bonne 20aine d'années que depuis le chemin de halage découvert au travers des ronces, on ne voyait plus l'eau du canal pourtant contigüe. Beaucoup de fuites étaient observées. La canal n'avait plus de raisons d'être. L'Etat remit le cadeau empoisonné au Conseil général de la Nièvre
La solution vint de Paris, (en un sens un juste retour des choses ... !) et d'un certain Pierre-Paul Zivy, un homme dynamique passionné de tourisme fluvial qui entreprit de sauver ce canal dont il était tombé sous le charme. Il s'engageait à créer des entreprises touristiques, mais il fallait que la voie d'eau redevienne navigable. Pour cela il rencontra le Chef de l'État, le Général de Gaulle pour lui présenter l'intérêt de son projet. Entre de tels hommes le courant passa immédiatement et la décision fut vite prise, le canal revint à l'Etat qui confia sa restauration à VNF25 dont c'était l'une des missions.
Aujourd'hui, le canal du nivernais est considéré comme l'un des plus beaux de France, c'est le premier en terme de nombre de société de louage, le deuxième après le "canal du Midi" concernant la fréquentation touristique (4000 bateaux par an) dont 70% d'étrangers européens, mais aussi australiens et américains
Merci à Emile Guillien (Mimile) pour le partage de sa grande connaissance de l'histoire de la région, du milieu des cours d'eau et du flottage. Peu de mots sont disponibles également pour traduire ces instants émouvants d'évocation avec lui de la correspondance et du souvenir de Jean Partiot, un autre passionné du Morvan originaire de Montreuillon !
Enfin à Crux-la-ville, le dynamisme de Charlotte et son sens de l'accueil, la marche en forêt avec Michel, Pedro, et "Vivi" à la découverte de la Vaucreuse et de la rigole d'Aron, en compagnie de ces amoureux de leur région, grands connaisseurs de leur histoire : inoubliable ; encore merci !
Michel Partiot - mars 2015