Le grand hiver
L'hiver de 1708 à 1709 fut si rigoureux et si long qu'il se reprit à trois fois et dura jusqu'au mois de mars avec grandes glaces et neiges, que tous les noyers des bons pays moururent et la plus grande partie des arbres fruitiers et dans le Morvan les genêts et les houx moururent en pied.
Tous les froments et les seigles furent perdus, non seulement dans ce pays du Morvan, mais dans tout le royaume où il en reste si peu en quelque endroit, comme en cette paroisse de Vauclaix que l'on ne sema pas la huitième partie des bons grains que l'on semait ordinairement, quoique l'on y employât du blé vieil, et les grains furent si chers, que le froment valut jusqu'à treize livres le boisseau de Lormes, le seigle dix livres, l'avoine quatre livres dix sols et jusque cent sols, et les autres menus grains à proportion.
La misère
Ce qui dura plus de quinze mois, et réduisit les pauvres qui étaient en si grand nombre à une si grande misère qu'on les voyait brouter de l'herbe comme les bêtes dans les champs et une grande quantité moururent de faim.
D'autres pillaient et volaient partout et mettaient le feu dans les toits à bestiaux pour en manger après qu'ils auraient été brulés.
Dans le temps des semences de 1709, le seigle valut jusqu'à 15 liv. le boisseau de Lormes. Les vignes gelèrent aussi, si bien que dans les années 1709 et 1710, le vin valut jusqu'à 50 livres la feuillette qui en 1708 ne valait que 50 sols , et le seigle 14 et 15 livres le boisseau qui n'avait valu que 14 et 15 sols , ainsi des autres grains ce qui causa une famine générale et réduisit les hommes à un tel état que la plus grande partie ressemblaient plus à des squelettes qu'à des hommes vivants.
Je ne parle pas seulement des pauvres villageois, mais des bourgeois des villes qui se trouvaient fort heureux, après avoir mangé à leur guise le pain de froment les années précédentes, de se repaître avec leurs familles, dans ces mauvaises annnées, de pain d'orge et d'avoine.
Enseignements
Ce que je certifie très véritable à la postérité pour lui servir de mémoire et en même temps d'instruction. Car les années d'abondance les hommes faisaient des dégâts des biens que Dieu leur avait donné.
On voyait les jours de fêtes et dimanches les cabarets plus pleins que les églises . les hommes qui en sortaient faisaient des actions indignes de leur caractère, se rouler comme des porcs dans le vin qu'ils regorgeaient. Je laisse à part les jurement, les blasphèmes et les paroles honteuses qu'ils proféraient.
Les autres, qui étaient plus sages, tant de l'un que de l'autre sexe, ne trouvaient aucun grain à leur fantaisie, ou il était trop chargé, ou il n'était pas bien vanné ou il faisait les vieils, ou il avait mauvais goût. On le machait, on le crachait, on on le jetait par terre, en un mot, on méprisait les biens de Dieu ou on en faisait un très mauvais usage
C'est pourquoi Dieu nous a justement frappé par ce que nous ne méritions pas d'avoir. Fasse le ciel que nous ne vivions jamais plus un si grand malheur.
Ainsi soit-il.