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Culture et traditions

Anecdotes

L'énigme de la rigole

Saga et aventure familiale dans le Montreuillon du XIXe siècle'


 

Un événement surprenant

Aucun incident majeur ne fut signalé quand un jour, curieusement, les lourdes vannes en amont du Grand Pont se soulevèrent.

Vu leur poids, il aurait fallu plusieurs adultes pour les manœuvrer. Mais surtout, dans quel but ?

Certains purent croire qu'à force de malmener la rivière, la déesse celte Ica‑Onna était fachée et leur jetait un sort. Car tout le monde savait bien ici que les soirs de pleine lune et surtout lors du solstice d'été, il se passait certaines choses dans les forêts profondes du Morvan, que seuls les vieux druides pourraient expliquer ...!

Ils furent enfin rassurés quand un siècle et demi plus tard, l'hypothèse maléfique fut écartée et l'énigme élucidée.

 

 

Pauline

Tout commenca avec Pauline, la belle-fille de Léonard Girard, le garde-rivière . Celui qui arpenta pendant 30 ans les rives de l'Yonne et ses affluents. Il participa activement à l'aventure des "bois-volants" appelée dans les livres le flottage à bûches perdues C'est dire comme la rivière était devenue sa deuxième compagne !

Son fils, Claude Félix épousa Pauline, de son vrai nom Magdelaine Royer qui lui donna trois fils : Auguste, Hubert et Victor (cf . généalogie).

Elle avait bien du mal à faire accepter à son mari que leurs enfants "perdent leur temps" avec les "Hussards Noirs"2 alors qu'il y avaient tant à faire à la boutique et à la ferme ! Mais elle avait le caractère fort des Royer et son mari avait dû s'y soumettre.

Car Pauline elle-même, paradoxe de l'époque, avait reçue une éducation raffinée et savait très correctement lire et écrire le Français. La fille de Jeanne et de Jules Royer, maçon et "petit-Paris"3 de surcroit, çela dut jaser dans les chaumières ...!

En effet, sa mère, Jeanne Coichot, avait été "nourrice sur lieu" chez le Comte de Béarn, qui ne supportait pas qu'on porte des sabots et parle le morvandiau à ses chères têtes blondes (et si en plus la ruralité était transmise par le lait, sait-on jamais ?).

Il exigait donc qu'elle remplace son "caraco to dret"4, par des vêtements "bienséants", porte des souliers et apprenne à lire et à écrire le Français. De plus, Pauline enfant eut alors la chance rare de suivre sa mère avec l'accord du Comte, qui était un brave homme, et de partager tout naturellement l'éduction de ses "frères de lait".

De retour à Montreuillon et prenant de l'âge, elle fit partie de ces morvandelles de caractère qui avaient compris bien avant leurs hommes que l'avenir passait par l'école5 et ce n'était pas, l'instituteur de Montreuillon qui allait la contredire.

Etienne

Nos trois galopins étaient de bons élèves, leur mère et l'instituteur y veillaient, mais ils n'en étaient pas des anges pour autant.

Aux bancs de l'école, ils préféraient quand même la capture des grenouilles dans les mares ! Étienne Partiot, qui était plus âgé qu'eux et revenait du service militaire, leur avait montré comment les attirer avec un petit bout de chiffon au bout d'un fil.

Ils en avaient fait des escapades avec lui quand il descendait de Montliffé par la Grande Borne, le ruisseau de Grandry et rattrappait le chemin médiéval de La Roche Ménart !

D'ailleurs, il y venait de plus en plus souvent à Montreuillon, mais ce grand benêt préférait maintenant aller courtiser la Marguerite Dussaule : laisser les grenouilles pour une fille, quelle drôle d'idée pensaient‑ils !

Bien sûr, Auguste ignorait que Marguerite donnerait trois enfants à Etienne et en particulier le 22 février 1902 un garçon, Léon qui deviendra son gendre, mais c'est une autre histoire.

 

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Trois garçons dans la nature

Les gamins, ayant perdu leur mentor, avaient changé de jeux : leur grand-père Léonard leur avait raconté l'histoire de la rivière et de la déesse celte Ica-Onna, en créant le merveilleux comme savaient le faire tous les grand-pères conteurs, mélangeant à souhait le vrai et l'affabulation, le naturel et le surnaturel.

Mais il racontait surtout cette histoire du canal qui avait concurencé le bois-volant et puis la rigole qu'il avait fallu construire car il n'y avait pas assez d'eau dans le bief de partage. Cette fameuse rigole qui passait précisemment sur le grand pont ... ils étaient vraiment très attirés par l'aqueduc... !

Une fois, Hubert l'intrépide avait entrepris de traverser la vallée de l'Yonne en empruntant la margelle ... à l'extérieur.
Une autre fois il avait descendu les 33 m dans un seau !

Il collectionnait les taloches, mais cela ne lui servait pas de leçon et la grande idée allait germer : soulever les vannes de la rigole ! Mais comment faire ?.. Elles étaient très lourdes et gorgées d'eau et on avait beau tirer dessus ... impossible, elles ne bougeaient pas !

Avec la complicité d'Aristote

Alors Auguste, le futur ingénieur eut une idée géniale : l'instituteur leur avait parlé d'Aristote qui avait dit "donnez moi un point d'appui et je soulèverai le monde".

En l'occurrence c'était moins lourd que le monde et finalement… La stratégie fut vite mise en place.

Le plus petit, Victor surveillerait les alentours, Hubert trouverait les cales et Auguste installerait le bras de levier. On verrait alors si Aristote avait raison.

Sitôt dit sitôt fait et voilà nos trois gaillards pendus à la grande perche préparée par Auguste… et ça a marché ! Comme quoi l'école était utile, finalement !

Mais ensuite, un gros problème se posa, car la force de l'eau éjecta la lourde vanne qui partit dans la pente, le flot se précipita en une magnifique cascade qui traversait la route6 pour rejoindre l'Yonne 33 mètres plus bas.

Malheureusement Aristote n'avait pas dit comment faire pour refermer tout ça !

Epilogue

Il fallait se rendre à l'évidence: c'était la correction assurée, car le père Félix n'imaginait même pas que les psychologues auraient un jour l'idée saugrenue de condamner la fessée (et d'ailleurs, même s'il l'avait su !)

Alors Hubert, encore lui, sauva la situation :
étant donné que personne ne viendrait par la route de Corbigny avant un bon moment, il suffisait, de camoufler le "matériel", de contourner la maison des Graillot pour ne pas être vu du boulanger, de passer le mur des Tournois et de rentrer en toute innocence par le fond du jardin, tout simplement.

Ensuite, jouer sagement et ramasser des groseilles pour aider maman à préparer le repas du soir.

Ce fut une grande affaire dans le village, les agents du Ministère7 se déplacèrent pour comprendre comment la vanne avait pu se soulever.

Les enfants quant à eux furent sauvés par leur père, à son insu d'ailleurs.

Félix était en effet respecté dans le village. Quand il affirma en toute bonne foi, que les enfants étaient restés dans le jardin, il fut cru et les agents repartirent bredouilles.

L'affaire n'eut pas de suite. De son côté, Pauline n'en a jamais rien su.

Mais voilà qu'un siècle et demi plus tard au détour d'un site web ... !

 

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Michel Partiot Académie du Morvan ‑  juin 2015

 

Remerciements

  • Histoire rapportée en hommage à mon grand-oncle Hubert Girard qui me l'a racontée lui même il y a 55 ans.

    Je sais qu'il en rit encore dans sa moustache, car sous le tropique du Capricorne, on apprend que les ancêtres ne meurent pas tant que les vivants pensent à eux.

    A bientôt mon oncle, le jour où à mon tour je tournerai le dos, comme on dit chez nous, on se retrouvera et on va bien rigoler !

  • Je remercie mon père Jean PartiotAcadémie du Morvan†, qui a vérifié, amendé ce texte, et ajouté des détails à l'anecdote. Il a ainsi assuré le relais entre les générations.

Notes

  1. Aqueduc d'Oussy : ce n'est que dans les années 1930 que l'aqueduc d'Oussy fut construit pour racourcir le trajet de la rigole de 3 km.
  2. Les husards noirs : sobriquet affectueux donné par Charles Péguy (cf. l'Argent - 1913) à ces jeunes instituteurs sortant des écoles normales de la IIIe république.
  3. Petis-Paris" : surnom donné aux enfants de l'assistance publique placés dans le Morvan par la Péfecture de la Seine dans des familles d'accueil. Certains étaient traités comme des enfants de la maison, mais généralement ils étaient considérés comme de la main-d'oeuvre taillables et corvéable à merci. Ils étaient méprisés et souvent maltraités. A Montreuillon, après 1921, un médecin (André Pouget) était chargé de vérifier leur état de santé et de régler les problèmes de maltraitance.
  4. Un "caraco to dret" : comme tous les morvandiaux le savent était une sorte de corsage droit porté au début du xixe siècle. Il a progressivement pris des formes parce que nos ancêtres étaient coquettes et habiles en couture. Il était attaché dans le dos et gare au garçon qui commençait à le délacer : il n'y avait aucune ambiguïsté, le mariage n'était pas loin !
  5. Un "L'école des années 1880" : ce n'est qu'en 1881 et 82 que les lois de Jules Ferry rendirent l'école gratuite et l'instruction (mais pas la scolarisation) obligatoire pour les enfants de 6 à 11 ans pour ceux qui obtenaient le certificat d'étude et 13 ans pour les autres. A la campagne beaucoup de parents se méfiaient de l'école laïque et préféraient garder les enfants à la ferme.
  6. Notons qu'Auguste sortirait plus tard Ingénieur des Arts et Métiers, qu'Hubert deviendrait Receveur des Postes à Paris et Victor Représentant de commerce.
  7. Depuis une buse fut installée pour évacuer une fuite éventuelle de la rigole et l'eau des petits ruisseaux sans abîmer la route
  8. Le 1er octobre 1853 l'État a racheté le canal et la rigole à La Compagnie des 4 canaux qui en était alors gestionnaire. (merci à C.Berg pour l'info)

 

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